Source : http://www.indesens.fr/index.php?art=47&th=56
Johanne Cassar, soprano │Laurent Wagschal, piano │Sodi Braide, piano (*)
Six mélodies populaires corses (1930)
1- Ciuciarella – 1’59
2- Vocero – 2’30
3- Chanson de la pipe – 1’25
4- Ninina 3’15
5- Lamento 1’35
6- Zilimbrina 1’02
Chants corses (1932)
7- Lamentu d’u trenu – 2’19
8- Sérénade complainte – 3’34
9- Nanna – 2’10
10- U Meru pastore -1’31
11 – Cantu di Malincunia (ext. des Cantu di Cirnu, 1933) – 2’53
Deux mélodies, sur des poèmes de Paul Fort (1932)
12- Par les dunes – 3’40
13- Cloche d’aube – 1’55
Clairières dans le ciel, sur des poèmes de Francis Jammes (1932)
14- Tristesses – 2’55
16- Une goutte de pluie – 2’37
16- Cyrnos (concerto pour 2 pianos) (*) (1929) – 19’28
Le chant de la terre d’Henri Tomasi
Tout artiste influencé par la lumière de la Méditerranée ne peut créer sans se référer à une terre nourricière. Cette terre peut être la source de l’exaltation de paysages. Elle peut permettre de révéler la culture et l’âme d’un peuple. Elle peut enfin, comme dans le cas du compositeur Henri Tomasi avec la Corse, représenter le fondement d’un idéal humaniste. Né à Marseille où il passa son enfance, Henri Tomasi (1901-1971) a toujours été tourné vers la grande île d’où était originaire sa famille, nommée Cyrnos par les Grecs. Dès la fin de ses études de chef d’orchestre et de composition au conservatoire de Paris, où il obtient en 1927 la plus haute récompense, le prix de Rome, Henri Tomasi consacre ses œuvres à une île dont le patrimoine populaire était alors presque inconnu en France.
C’est au cours de son voyage de noces en Corse avec sa femme Odette Camp, en 1929, qu’il compose Cyrnos. Ce poème symphonique en deux versions, l’une pour piano et orchestre, l’autre pour deux pianos – version enregistrée ici pour la première fois – n’a pas d’autre programme que quelques lignes où il célèbre la lumière et la beauté de la Méditerranée : “Cyrnos exprime les sentiments personnels de l’auteur qui tressaille au souvenir de son pays. Il se laisse inspirer par l’âme collective d’une race qui s’exhale avec sincérité du joyeux tumulte d’une tarentelle ou de la tristesse douloureuse d’un vocero. Il se penche avec amour sur ces deux seuls berceaux, s’en empare et symbolise toute l’âme corse.” Henri Tomasi exalte dans un langage musical lyrique la beauté d’une île qu’il redécouvre à travers ses mélodies populaires. Dédiée à sa femme, cette longue pièce passionnée va être suivie en 1930 de la composition de Six mélodies populaires corses. En harmonisant des chants corses traditionnels, Henri Tomasi poursuit une tradition familiale. Son père Xavier avait en effet collecté et harmonisé des chansons populaires corses, publiées en 1912 dans un recueil intitulé Corsica. Ces six mélodies pour voix et piano – pouvant être interprétées aussi bien par une voix de femme qu’une voix d’homme – sont bien sûr chantées en langue corse. Elles décrivent des situations de joie et de douleur avec beaucoup de sobriété, avec une harmonie modale et une partie de piano aux accents ravéliens. Dans cet enregistrement, après la berceuse O Ciuciarella, connue de tous les enfants corses, et le dramatique Vocero, chant de désolation où l’on entend presque le glas, la première partie se termine par l’insolite Chanson de la pipe. La seconde partie débute avec une berceuse mélancolique à l’écriture pentatonique, Ninina. C’est le terrible Lamento, déploration funèbre, qui lui succède. Le recueil se termine cependant par la chanson légère Zilimbrina.
Avec ces six mélodies, Henri Tomasi rattache la chanson traditionnelle à l’esprit musical de son temps, loin de tout folklorisme. Sa démarche ne ressemble pourtant pas à celle des compositeurs du Groupe des Six, alors intéressés par la musique populaire pour rechercher une expression gaie et orginale. Issu d’un milieu populaire, fils d’un facteur de Marseille, Henri Tomasi cherche à rendre hommage au peuple corse mais aussi à définir sa place de compositeur dans la recherche d’une musique savante accessible. Enregistrés ici pour la première fois, les Chants corses (1932) comprennent quatre mélodies traditionnelles composées dans le même esprit que les Six mélodies : Sérénade complainte, Nanna (berceuse), Lamentu d’u trenu et U meru pastore. Une harmonisation plus conventionnelle se retrouve dans un chant corse extrait d’un autre recueil, Cantu di Cirnu (Chants de Cyrnos), Cantu di Malincunia, sur un poème de Santu Casanova (1933). A la même époque, Henri Tomasi s’intéresse aussi à la poésie en langue française d’essence populaire. Il met en musique en 1932 deux poèmes de Paul Fort (1872-1960), Par les dunes et Cloche d’aube. La même année, il compose Clairières dans le ciel d’après deux poèmes de Francis Jammes (1868-1938), Tristesses et Une goutte de pluie, où se manifeste une grande mélancolie. Ces quatre mélodies, enregistrées ici pour la première fois, bénéficient d’une écriture plus inscrite dans leur époque, les années trente.
Composées de 1929 à 1933, les œuvres présentées dans cet enregistrement tracent la voie qui mènera plus tard Henri Tomasi vers la composition de ses grands opéras, notamment Don Juan de Manara (1944) et Sampiero Corso (1955). Elles sont également précieuses pour comprendre la démarche sprituelle du compositeur. Etre Corse, pour Henri Tomasi, c’est être méditerranéen. C’est se tourner vers d’autres terres. C’est exprimer un idéal de liberté, de fraternité et de justice qui se révèlera pleinement dans ses dernières œuvres, le Concerto pour guitare et orchestre dédié à la mémoire de Federico Garcia Lorca (1966), Retour à Tipasa d’après Albert Camus (1966) et la Symphonie du Tiers-Monde d’après Aimé Césaire (1968).
Les interprètes de ce disque ont été passionnés par ce répertoire peu connu. La voix chaude de Johanne Cassar permet de pénétrer dans l’atmosphère méditerranéenne de la musique d’Henri Tomasi. Laurent Wagschal, accompagné dans Cyrnos par Sodi Braide, révèle également la richesse de compositions qui, bien que de jeunesse, révèlent une grande force.
Jean-Marie Jacono – Maître de conférences à l’université de Provence
SIX MELODIES POPULAIRES CORSES | |
Ninni Nanna Ninni nanna, la me diletta Ninni nanna, la me speranza Seti voi la me barchetta Chì camina cun baldanza Quilla chì nun temi venti Nè timpesti di lu mari Addurmentati parpena Fate voi la ninni nanna Quandu poi nascisti voi Vi purtonu à battizani La cumari fù la luna È lu soli lu cumpari I stelli ch’eranu in celu D’oru avianu li cullani Addurmentati par pena Fate voi la ninni nanna |
Berceuse Do do do ma plus chérie Do do do mon espérance Vous êtes ma barque légère Celle qui avance altière Et qui ne craint ni le vent Ni les tempêtes de la mer Endormez-vous donc un peu Mon bébé faites dodo Lorsque vous vîntes au monde On alla vous baptiser La lune fut la marraine Le soleil votre parrain Les étoiles dans le ciel Avaient toutes un collier d’or Endormez-vous donc un peu Mon bébé faites dodo |
Canzona di a pippa |
Chanson de la pipe |
Vòceru |
Complainte funèbre |
Ciucciarella! |
Ciuciarella |
Traduction Antulugia di U Cantu
|
|
Lamentu Quandu n’intesi la nova Alla ferrera d’Orezza Mi sentìi punghje lu core D’una acuta è cruda frezza Or pienghjimu la so morte È pienghjimu u nostru male Ista mane in Alisgiani Vecu più d’un funerale |
Complainte Lorsque j’appris la nouvelle À la mine de fer d’Orezza Je sentis mon cœur percé D’une flèche aiguë et cruelle Pleurons donc sa mort Et pleurons notre infortune Ce matin à Alisgiani Je prévois plus d’un deuil |
Zilimbrina |
Chant de la balançoire |
CHANTS CORSES |
|
Lamentu di u trenu Or in Corsica lu trenu Hè fattu per li signori Per noi altri osteriaghji Son dulori è crepacori Pienghjenu li carritteri Suspiranu li pastori t Nun si vende più furragi Pocu pane è micca vinu Passanu le settimane Nun si versa un bichjerinu Chì ci avemu più da fà In piaghja lu mio Angelinu! |
Lamentu di u trenu Car le train, en Corse Est fait pour les messieurs Pour nous, aubergistes Ce sont douleur et crève-coeur Les charretiers se lamentent Et les bergers gémissent Peu de pain, pas de vin On ne vend plus de fourrage Les semaines passent Sans que nous ne servions un verre Qu’irions-nous donc y faire A la plaine, mon Angelinu ! |
Sérénade – complainte Perchè bella è fresca veni Quandi u sole ciotta in mare Quandu colla da li feni Caldi odori è canti rari, Nude e braccie è in pettu un fiore À guardati, lu me amore Diventa puru è chjaru cum’è u celu Eju ti guardu tremi allora Cum’è a spiga in cor d’aprile More u ghjornu è sona l’ora Di u rusàriu à u campanile puis les étoiles s’allument Piatta hè a luna appettu à u monte E nostre ànime surelle Ad amà forse sò pronte Ma stai zitta ed eju mi chetu L’ombra copre la to fronte È si piatta u nostru affettu Cum’è a luna appettu à u monte. |
Sérénade – complainte Parce que tu viens, toute fraîche Lorsque le soleil plonge dans la mer Lorsque descendent des champs de foin De chauds parfums et des chants rares, Les bras nus et une fleur sur ton sein, A te regarder, mon amour Devient pur et limpide comme le ciel Je te regarde et alors tu trembles Comme l’épi quand vient avril Le jour meurt et l’heure du rosaire Tinte au clocher Et puis les étoiles s’allument La lune se cache derrière le mont Nos âmes soeurs Sont sans doute prêtes à aimer Mais tu ne dis rien et je me tais L’ombre couvre ton front Et nos sentiments se cachent Comme la lune derrière le mont. |
Nanna |
Nanna |
Traduction par Èlena Bonerandi in Antulugia di U Cantu Nustrale, par Ghjermana de Zerbi et Mighele Raffaelli – Ajaccio, La Marge, 1993
|
|
U merre pastore |
Le maire berger |
CANTU DI MALINCUNIA |
Chant de mélancolie |
Cari monti diletti è colli prufumati Ricordi suspirati di la vita Dopu longa partita Tornu à l’amate sponde Ma più nimu risponde à la me voce Ùn ci hè più quella noce In la valle fiurita Si n’hè andata la vita Cù la pace Hè notte tuttu tace Intorn’à quelli lochi Ùn si vede più fochi in li contorni Ch’ella senti u me cantu Pien di malincunìa Chì ti chjamu o Maria in tutti i lati Quelli patti sacrati decisi in cas’è fora Ormai hè ghjunta l’ora d’osservalli S’e tengu à rammintalli Ùn hè chè per mimoria C’hè troppu durata a storia Di u passatu Addiu o pegn’amatu Un’ altra volta addiu Ti lasciu trà l’ublìu di la notte |
Chers monts adorés et collines parfumées Souvenirs émus de ma vie Après une longue absence Je reviens à mes rivages aimés Mais plus personne ne répond à ma voix Le noyer n’est plus là Dans la vallée fleurie La vie s’en est allée Avec la paix Il fait nuit, tout se tait En ces lieux On ne voit plus de feux alentour Qu’elle entende mon chant Plein de mélancolie Car je t’appelle, Marie, de tous côtés Nos pactes sacrés passés au-dedans et au-dehors L’heure est désormais venue de les respecter Si je tiens à les rappeler Ce n’est que pour mémoire Car cette histoire passée N’a que trop duré Adieu mon trésor Encore une fois adieu Je te laisse dans l’oubli de la nuit |
CYRNOS, POEME SYMPHONIQUE POUR DEUX PIANOS |
|
“Cyrnos exprime les sentiments personnels de l’auteur qui tressaille au souvenir de son pays. Il se laisse inspirer par l’âme collective d’une race qui s’exhale avec sincérité du joyeux tumulte d’une tarentelle ou de la tristesse douloureuse d’un vocero. Il se penche avec amour sur ces deux seuls berceaux, s’en empare et symbolise toute l’âme corse.”
Henri Tomasi |
|
DEUX MELODIES, SUR DES POESIES DE PAUL FORT |
|
Par les dunes Dans les chardons bleus, qu’elle se fait tendre, La voix de la mer qui s’enfle au rivage Quand saurais-je, ô nuit, ô dunes, Comprendre le bonheur qui m’est échu en partage. Ainsi, j’écoute, en me penchant aux fleurs L’écho si léger du lointain murmure Qui berce en mon âme leurs pâles couleurs. Les dunes sans lune à moi se mesurent: On y voit si peu que tout est mon âme Et, n’est ce pas vous, fleurs devant les eaux Fleurs givrées du sel de ces sables calmes Qui peuplez d’azur mon âme aux yeux clos D’azur et de neige et de la musique née de la mer grise Entendue finement, fleurs Entre vos doux entrechoquements, Echo d’un chant venu des horizons mystiques. |
Cloche d’aube Ce petit air de cloche, errant dans le matin, a rajeuni mon cœur à la pointe du jour. Ce petit air de cloche, au cœur du frais matin, Léger, proche et lointain, a changé mon destin. Quoi ! vais-je après cette heure survivre à mon bonheur, Ô petit air de cloche qui rajeunit mon cœur, Si lointain monotone et perdu, si perdu, si perdu petit air, petit air au cœur frais de la nue, Tu t’en vas, reviens, sonne : errant comme l’amour, tu trembles sur mon cœur à la pointe du jour. Quoi ! la vie pourrait être monotone et champêtre et douce et Comme est proche ce petit air de cloche, douce et simple et lointaine aussi, Calme et lointain ce petit air qui tremble au cœur frais du matin. |
CLAIRIERES DANS LE CIEL, SUR DES POESIES DE FRANCIS JAMMES |
|
Une goutte de pluie Une goutte de pluie frappe une feuille sèche, lentement, longuement, et c’est toujours la même goutte, et au même endroit, qui frappe et s’y entête… Une larme de toi frappe mon pauvre cœur, lentement, longuement, et la même douleur résonne, au même endroit, obstinée comme l’heure. La feuille aura raison de la goutte de pluie. Le cœur aura raison de ta larme qui vrille : car sous la feuille et sous le cœur, il y a le vide. |
Tristesses Parfois, je suis triste. Et, soudain, je pense à elle. Alors, je suis joyeux. Mais je redeviens triste de ce que je ne sais pas combien elle m’aime. Elle est la jeune fille à l’âme toute claire, et qui, dedans son cœur, garde avec jalousie l’unique passion que l’on donne à un seul. Elle est partie avant que s’ouvrent les tilleuls, et, comme ils ont fleuri depuis qu’elle est partie, je me suis étonné de voir, ô mes amis, des branches de tilleuls qui n’avaient pas de fleurs. |