I Quelques instants avec Henri Tomasi (Journal de Vichy, août 1947)
On connaît la silhouette à la fois élégante et robuste de Henri Tomasi et son visage fin et bien tracé qu’éclairent des yeux ardents. (…) Je vois bien que j’ai affaire à un esprit cultivé qu’une foi ardente anime, à une imagination constamment en éveil, et davantage encore à une intelligence claire, qui sait ce qu’elle veut et où elle va, peu encline à se satisfaire des doctrines rigides, comme elle ne saurait s’accompagner d’une facile anarchie.
Henri Tomasi précise sa pensée sur l’avenir. Vichy verrait s’ouvrir, en septembre, une grande quinzaine internationale de musique française, organisée de telle sorte qu’elle pourrait non pas rivaliser avec tout ce qui serait tenté d’approchant en Europe, mais surclasser les manifestations rivales. On choisirait les trois maîtres les plus représentatifs du génie national contemporain : Fauré, Debussy, Ravel, et on les présenterait sous le quadruple aspect de la musique de chambre, lyrique, chorégraphique et symphonique. (…)
Tomasi parle de Debussy comme d’un lyrique qui se contient. Ses effusions sont toujours contrôlées par une extrême pudeur, et s’il a si souvent confié à la petite harmonie le soin d’exprimer sa pensée la plus sensible, c’est parce qu’il n’en craignait pas les éclats. Nul mieux que lui, en effet, n’a utilisé la flûte, le hautbois, la clarinette, et jamais aucun compositeur n’a tiré un plus subtil parti des cors.
II Croquis psychologique : Henri Tomasi
Quand Henri Tomasi monte au pupitre, il apparaît un peu pâle, la chevelure grisonnante rejetée bien en ordre, viril sans lourdeur, élégant sans recherche, avec quelque chose d’effacé et de correct où sa simplicité et sa modestie s’imposent. (…)
C’est un homme dominé par la mer.
Il voulait être marin. Corse d’origine, marseillais d’adoption, la mer a fasciné sa petite enfance et sa jeunesse. La voix de la mer est en lui, son odeur, sa clarté, ses brumes, ses grandeurs et ses maléfices. Elle exerce encore sur lui un attrait magnétique, et encore maintenant, si elle est trop absente de sa vie, il la veut, la cherche, s’y mêle et s’y renouvelle. Jusqu’à dix-huit ans il ne connut qu’elle. Hélas, le plaisir des rivages est insuffisant, la joie de la nage, dérisoire. Il aimait la mer pour ce qu’elle est, mais aussi pour ce qu’elle apporte, c’est-à-dire les pays inconnus. Quelle autre ressource pour calmer l’obsession, que celle de naviguer ? Un père implacable et singulièrement averti par une tendre prémonition ne le voulut pas. Il exigea qu’Henri, l’aîné de trois enfants, apprît la musique. Il l’enferma, de bonne heure, au Conservatoire de Marseille, ramenant à grands coups le prodigue quand il le surprenait s’évadant vers le port, rôdant autour des barques, ébauchant de fallacieux départs. C’est seulement à vingt ans qu’Henri, continuant au Conservatoire de Paris de brillantes études, découvrit l’admirable vérité que son inconsciente adolescence avait si follement méconnue : la présence de la mer en lui, son impérieuse autorité, c’était la musique…
Il comprit du même coup des dilections qu’il n’expliquait pas, comme celle qui l’identifie littéralement, sans qu’il s’en inspire ou l’imite jamais, à Debussy. Même goût pour la mer, même désir de son chant. Et nous qui avons assisté à cette parfaite conduite de Pelléas, tout mystère et brume, tout voiles et nuances, nous voyons bien pourquoi Henri Tomasi, cet homme ensoleillé, s’est si fortement allié au génial musicien du silence.
Nous ne saurions rien ajouter ni dire ce que chaque auditeur n’ait lui-même constaté : une profonde conscience dans l’étude la partition, une estime amicale pour ceux qui l’exécutent, une fougue et une ardeur que contrôle l’intelligence, un sens aigu de ce que le texte n’exprime pas explicitement mais suggère, voilà ce qui décèle une vocation authentique qui se réalise brillamment. Les chefs d’orchestre sont nombreux, mais parmi eux rares sont ceux qui accèdent à la classe internationale. Henri Tomasi fait partie de cette élite.
Comment, devant cette évidence, ne pas ramener sa pensée, dans une profitable méditation, sur ce père obscur et obstiné, hanté par le beau destin de son fils, et sur le petit garçon solitaire, éperdu devant la mer, qui seule lui assignait ses limites.
” Si le cadre de mon Concerto de Trompette est classique par ses trois mouvements, le contenu ne l’est pas. Il n’y a ni sujet, ni allusion directrice. C’est de la musique pure. J’ai essayé de faire la synthèse de toutes les possibilités expressives et techniques de la trompette, depuis Bach à nos jours en passant par le jazz. On employait jusqu’ici la trompette très sommairement. C’était un instrument de second plan, alors qu’il est intéressant d’en découvrir toutes les ressources expressives. Il est à remarquer combien l’utilisation en a été élargie par les compositeurs modernes. Je ne prétends pas être un précurseur ; je me situe au centre d’une époque où on demande davantage aux éléments mineurs de l’orchestre. J’espère avoir apporté une utile contribution à des recherches si captivantes “.