” Mon petit ,
Je pense que tu as dû reprendre avec une ardeur nouvelle tes cours. Rien au courrier ce matin. Dis bien à maman d’écrire dès maintenant à Marseille, sans quoi le trajet Tarrascon-Frigolet et Frigolet-Tarrascon-Marseille va se solder par 4 jours de retard. Je te livre (ci-jointes) mes pensées philosophiques de vingt jours de pleine solitude et de silence sur un sujet que j’ai à cœur et qui me tourmentait depuis bien longtemps. Après plusieurs brouillons, je crois avoir exprimé mon angoisse sur notre temps, bien que j’aurais aimé développer certains passages. Peut-être, un jour, tu reprendras tout cela en souriant…mais si je n’avais pas quitté l’école à 13 ans, j’aurais certainement pu livrer moi aussi mon ” message ” en dehors de la musique !
Temps passable mais doux. Dimanche ou lundi au plus tard, ma ” biquette ” [La Chèvre de Monsieur Seguin, Conte lyrique] sera sur pied, mais quel travail ! Si elle ne sent pas le thym et le romarin, c’est qu’elle sera ratée.
Vous embrasse bien fort tous les deux.
Henri
Si ce n’était mon affection pour vous, je resterais ici et ne remettrais plus les pieds dans cette merdasse parisienne ! “
Réflexions de mon ermitage St Michel de Frigolet, Pâques 1963
” A l’heure qu’il est, non seulement nous assistons à un changement total de civilisation, mais à un changement d’âge. Jusqu’au siècle dernier, rien n’avait modifié l’état des choses établi dans l’Humain depuis le paléolithique. Aucune source d’énergie (essentielle) n’avait été découverte ; l’Homme continuait à se servir du Feu qu’avaient allumé ses ancêtres. Soudain l’homme découvre les lois de l’énergie chimique, il capte les puissances de l’éther, il analyse les abîmes atomiques et stellaires, il découvre son pouvoir d’action sur la matière. C’est l’avènement d’un cycle nouveau. L’âge néolithique vient à peine de finir, qu’aussitôt succède l’âge de l’industrie, l’âge des internationales, et du même coup, des révolutions.
Nous nous trouvons placés à un carrefour prodigieusement intéressant de l’histoire de la Terre. La vie qui nous a fait ce que nous sommes, mérite-t-elle que nous la poussions plus loin ?
Dans ce trouble profond et universel, où trouverons-nous la lumière qui nous guidera, et la force pour suivre cette lumière ?
Ou bien la vie ne va vers aucun terme, et alors le monde est absurde, destructeur de lui-même, et condamné par le premier regard réfléchi (dans ce cas la révolte devient nécessaire, c’est même un devoir), – ou bien, Quelque chose, ou Quelqu’un existe………………
Né de la conscience, un vent de révolte passe sur nos esprits. Un autre – celui qui nous attire presque tous – souffle vers la splendide réalisation de quelque Unité pressentie…