Musicien méconnu s’il en est, Henri Tomasi vient de se voir honorer par sa ville natale. Ce compositeur, qui se situa lui-même » entre Ravel et les sériels « , attentif au chant profond des peuples – la Corse de ses origines, sa Provence natale, l’Afrique, l’Orient – fut avant tout un homme, et un compositeur, chaleureux, passionné, généreux. Son lyrisme méditerranéen put s’exprimer à l’échelle universelle. Marquée par un certain attrait vers le mysticisme, son oeuvre sut également s’ouvrir à la révolte, à la protestation contre l’oppression, contre l’injustice, contre la folie guerrière, contre la mort.
Il a écrit quelques pages – sans volonté de révolutionner le langage musical – qui méritent de s’inscrire parmi les plus inspirées de notre siècle et qui, toutes, disent un profond amour de l’homme et font s’affronter l’ombre et la lumière des décors, des passions, des êtres humains.
On se plaît à compter parmi ces partitions majeures le poème symphonique Vocero (1932), le ballet Noces de Cendres (1952). les opéras Miguel Mañara (d’après Milosz, 1944-1956), L’Atlantide (d’après Pierre Benoît, 1951), Le Silence de la mer (d’après Vercors, 1959), le jeu satirique, lyrique et choré-graphique L’Eloge de la Folie (d’après Erasme, 1965), le Concerto pour Guitare à la mémoire d’un poète assassiné, Federico Garcia Lorca (1965).
On peut maintenant ajouter à cette liste l’œuvre écrite en 1966, sur un texte d’Albert Camus, Retour à Tipasa que Marseille, ville natale du musicien, vient de donner en création mondiale. Retour à Tipasa se présente sous forme d’une cantate pour récitant (excellent Jean Le Lamer), orchestre (le Philharmonique de Marseille) et chœur d’hommes (ensemble vocal philharmonique, dirigé par Marcel Gay) sous la direction chaleureuse de Pol Mule. C’est une partition qui réussit l’équilibre le plus subtil entre le texte et la musique. Henri Tomasi, pour les mots de Camus – une marche, de la nuit vers la lumière solaire – s’est refusé le prestige et les séductions de la voix chantée. Mais à l’ascétisme de la simple profération, il a ajouté le prolongement d’un orchestre tour à tour lancinant, sombre, grouillant de vie, baigné de clarté, et la présence de voix d’hommes qui, partant d’un simple soubassement sonore (bouches fermées) arrivent à une sorte de choral ample et magnifique qui dit l’essentiel : » Lumière! Vibrante lumière! « . Le succès de cette création a été prodigieux et prouve que le public, à Marseille et ailleurs, retrouvera avec enthousiasme l’œuvre de ce compositeur injustement occulté depuis sa disparition.
Le concert, donné dans le cadre de l’Abbaye médiévale de Saint-Victor, à l’initiative des actifs Amis de Saint Victor, présentait dans les meilleures conditions possibles divers autres aspects de l’œuvre d’Henri Tomasi : Chants corses a cappella (1960) et La mort du Petit Dauphin (1964), avec le concours de la Maîtrise Gabriel Fauré, les Fanfares liturgiques (1944), et le Concerto pour Violon, brillamment défendu par son inspirateur-dédicateur- créateur de 1962, Devy Erlih.
Autour de Claude Tomasi, fils du compositeur, la ville de Marseille et divers organismes (INA, Lycée Musical, FNAC, Opéra de chambre) se sont retrouvés pour un hommage qui s’est étendu jusqu’au 3 mai : exposition, projections, rencontres, débats, concerts, édition d’un disque par l’éditeur marseillais Lyrinx.
Mais il importe maintenant, pour qu’un peu de justice existe en France dans le monde musical, que cet hommage se prolonge, s’amplifie et que toute sa place soit enfin redonnée à ce musicien, profondément inscrit dans ses racines et dans notre temps, ce musicien qui n’aimait » ni les formules ni les c1assements » et qui, deux ans avant sa mort, affirmait hautement : » Seul l’homme et son côté passionnel m’intéressent. «
Gabriel Vialle,
L’Humanité, 9 mai 1985