Avant de nous quitter, Henri Tomasi a voulu dire, en musique, son mot sur un drame qui obsède la conscience de l’univers civilisé celui du tiers monde. Tout ce que ce problème sans solution immédiate déchaine de colère chez les uns, de pitié impuissante chez les autres, Tomasi l’a exprimé avec l’éloquence, avec l’art de la “chose vue” qui caractérisent sa nature généreuse.
Car, à chacune des séquences de sa Symphonie du tiers monde se superposent et s’opposent la fresque des nations déshéritées et la méditation des pays repus. Seule, la musique – par le fait que motifs mélodiques, exclamations rythmiques et couleurs orchestrales ne font qu’un dans le temps d’une seule mesure – est capable de traduire, en les associant, un tel luxe d’observations, de réflexes et de sentiments.
De ce poème violent, confié à l’orchestre au grand complet, particulièrement riche en percussions, s’échappent des cris de douleur, des appels au secours, tout ce que la misère peut inspirer à des races qui veulent survivre et que la terre avare ne nourrit point. Le paysage, le climat et ses périls sont eux-mêmes évoqués : drames meurtriers de la savane, pièges de la jungle, feulements des bêtes fauves, orages tropicaux. Dans ce décor réaliste, prodigieusement brossé, se devine, à l’horizon, tel un nouvel “Hymne à la joie”, l’aurore d’une libération qu’on voudrait ne pas croire chimérique ou trop lointaine. Les visionnaires généreux – tel était Tomasi – ont parfois raison sur les économistes. Toujours est-il que sa dernière oeuvre a soulevé l’enthousiasme de la foule qui occupait jusqu’au dernier fauteuil de l’auditorium 104 à l’O.R.T.F. Les jeunes étaient électrisés par l’orchestration fracassante, les anciens émus par l’humanité du propos, les uns et les autres sensibles à la direction magistrale de Pierre Dervaux dans ses meilleurs jours, comme à l’élan de l’Orchestre philharmonique serré autour de son chef.
La Musique par Clarendon
Le Figaro, 12/03/1973