Tomasi galvanise ses musiciens. La jeunesse de cet homme s’exprime en un incessant mouvement. Il incarne l’autorité, tempérée par l’amabilité. Il sait exactement ce qu’il veut ; mais pour atteindre à ses buts, il emploie le meilleur système : la persuasion. Dans son œuvre comme dans toute sa vie, il persuade sans peine, car il est fils de la Méditerranée.
Tomasi prit aux corses et aux marseillais ce qu’ils ont de meilleur, notamment leur amour passionné de la clarté, de la poésie, de la beauté dans ses formes les plus pures, leur sensibilité aux mille replis, leur franchise d’expression et aussi leur puissance de recueillement. Il n’a peur ni des élans sincères, ni de l’émotion, et il a trouvé dans la contemplation d’une nature harmonieuse et noble la notion parfaite de l’équilibre. Le méridional, il le sait mieux que personne, se grise aussi volontiers de silence que d’éloquence, puise dans la solitude la force de son activité parmi les hommes.
Dès ses débuts, Tomasi manifeste le désir de chanter la Corse et l’intérêt qu’il accorde à l’élément d’inspiration qu’est le folklore. En 1925, il écrit une Sérénade Cyrnéenne qui représente dans l’histoire de la musique la première manifestation authentiquement corse. Pour se plonger dans l’atmosphère ancestrale, Henri Tomasi va faire en 1929 un séjour en Corse. Il en revient avec Cyrnos. Ce vaste, cet exubérant, cet ensoleillé poème symphonique pour orchestre et piano principal exprime ” les sentiments personnels de l’artiste qui tressaille au souvenir de son pays ” .
En 1932, le compositeur retourne en Corse pour y passer ses vacances. Il nous en rapporte un très beau poème symphonique, Vocero, dont Florent Schmitt dans son feuilleton du Temps, célébra les mérites en des termes qui vaudraient d’être entièrement transcrits ici. Il dit notamment : ” La partition d’Henri Tomasi, qu’il conduit lui-même avec énergie, précision, et aussi la conviction d’un corse authentique, est d’une extraordinaire évocation. On pouvait craindre, par le vérisme d’un tel sujet, une peinture incohérente et désordonnée, une violence quelque peu monotone. Mais toutes ces scènes se soudent fort musicalement et sans heurts en une belle gradation qui, sachant très bien où elle doit aboutir, se garderait d’abandonner la partie au bon moment. Orchestrée avec une variété, voire un raffinement que n’exclut pas cette atmosphère sanglante, Vocero, est sans doute ce que, jusqu’à présent, Tomasi écrivit de plus achevé et de plus réussi “. Ce poème symphonique, d’une intensité tragique vraiment admirable commente le fameux ” vocero “, cette sorte de chant national de la vengeance. (…)
Ce qui séduit dans la musique de ce compositeur aimé des sans-filistes – et de tous les mélomanes – c’est à la fois l’élan de sa mélodie et la richesse de son instrumentation. Il ose, quand il le faut, laisser parler son cœur. Le cœur du méditerranéen Tomasi ne parle que pour nous confier de beaux secrets.
Interview par ” C.B. “
T.S.F. Programme, 11 septembre 1936