– A quelle époque de l’œuvre d’Henri TOMASI, situez-vous le Concerto pour violon ?
” Cela s’est situé pour Henri TOMASI à l’époque d’Ulysse ou le beau périple, un ouvrage lyrique, et c’est cela qui compte. Comme vous le savez, TOMASI était, plus que tout, un homme de Théâtre, et toute sa musique est une musique d’homme de Théâtre, comme je dirais que MOZART est un homme de Théâtre. De tout ce que je connais d’Henri, malheureusement pas tout, mais chaque fois que j’ai entendu une note de sa musique, il me semblait qu’elle était en situation, comme on dirait d’une réplique qu’elle est en situation. Ce qui m’a le plus touché dans ce concerto, ce qui me semble unique dans cette œuvre, c’est justement qu’elle est dramatique, je le répète dans le sens de situation, qu’elle est tout entière, également comme l’ensemble de sa musique, sous le signe à la fois de la tendresse et de la passion. C’est toujours un climat passionnel intense, qui ne trouve de repos que dans une tendresse infinie. Je crois que c’est cela qui caractérise ce concerto, par delà toutes les péripéties qui peuvent le traverser, je dirais, comme dans une vie, en fin de compte. Je crois que ce qui domine ce sont ces deux grands aspects psychologiques du personnage mis en scène, à la fois la passion et la tendresse.
Depuis très longtemps j’avais demandé à Henri s’il penserait à écrire un concerto, je l’attendais avec beaucoup d’impatience, et puis un jour, il m’a dit : ” Tiens, voilà ! ” Je n’ai pas besoin de vous dire mon enthousiasme, et à partir de ce moment-là, on a commencé à travailler. Et avec la désinvolture qui caractérise tout jeune, je me suis permis de lui dire, “et si à cet endroit on passait d’ici à là ; ou si on faisait ceci ou cela “, sans du tout me rendre compte à qui j’avais affaire, et lui, sur le même ton me disant, “ah ! ce n’est pas une mauvaise idée, vous avez raison, ce serait même très bien ! ” Et nous nous sommes trouvé, si je peux dire, en fraternité ; c’est ça qui a été tout à fait extraordinaire. On a travaillé ensemble jusqu’à la création, et j’avais l’impression, je ne sais pas, que j’avais affaire à mon frère, à mon père, à un autre moi-même ; on parlait de tout et de rien, je n’avais en tout cas pas du tout le sentiment qu’il s’agissait d’un travail. Ca a été une sorte de jaillissement spontané, accompagné d’une immense joie, de discussions passionnées sur des tas de sujets. Ca se passait généralement autour d’une tasse de thé, avec beaucoup de digressions, sur son enfance, Marseille, la Corse, la religion, la politique, les individus en général, et même quelquefois il faut le dire, en particulier. Et ça s’est poursuivi par une chose un peu plus inattendue, c’est-à-dire que toujours dans ce même esprit de désinvolture, je me suis permis de demander à Henri de me faire travailler l’harmonie, le contrepoint ; et je me souviens de la rigueur avec laquelle cet homme, qui était la liberté absolue dans son écriture, avec quelle rigueur il m’a enseigné ce qui était pour moi les bases, comment il m’a ouvert les portes d’une espèce d’art royal du rapport des notes entre elles, qui, me disait-il – et cela m’est resté et me restera toujours – était un rapport qu’il ressentait comme “cosmique “, d’attirance de certaines notes vis à vis des autres, et tout ça en regard, je le répète, des lois les plus strictes, mais les plus comprises, de l’harmonie traditionnelle. Et ça vraiment c’est un souvenir inoubliable, un enrichissement qui pour moi a été considérable.
– Dévy ERLIH, quand avez-vous connu Henri TOMASI ?
” Vous me rappelez là un souvenir assez amusant… Avais-je encore ou non des culottes courtes, je n’en sais rien, mais de toute façon c’était le style ! C’était lors du premier concert que j’ai donné en Province après mon Prix au Conservatoire de Paris. On m’avait de mandé de jouer le Concerto de BRAHMS, à Monte-Carlo, et il s’agissait de remplacer un artiste empêché, ce qui est souvent le cas pour des jeunes, et d’ailleurs une magnifique occasion. Je devais avoir 16 ou 17 ans, et c’est ainsi que j’ai trouvé au pupitre Maître Henri TOMASI, qui était pour moi l’un des très grands noms. J’étais très impressionné, me demandant comment j’allais pouvoir m’approcher d’un grand compositeur et lui parler. Il m’a tout de suite mis à l’aise, on a joué le Concerto, et on s’est retrouvé ensuite à diverses reprises, mais jamais il n’était question de sa musique, alors qu’il avait écrit plusieurs pièces pour le violon, ravissantes, que j’ai découvertes depuis, et joué avec plaisir. Comme je le rappelais, c’est donc moi, qui enhardi par les quelques concerts que nous avions faits ensemble et des rapports où je voyais sa sympathie pour moi, lui ai finalement demandé s’il accepterait d’écrire un Concerto pour violon.
– Et les autres pièces pour violon ?
Elles sont très différentes du Concerto. D’abord ce sont des pièces de jeunesse, qui ont justement tout le caractère d’un jeune plein de tempérament, de charme, déjà passionné, – mais Henri TOMASI à trois ans devait être aussi passionné qu’à soixante ! Je pense notamment à Paghiella, une pièce corse adorable, et à un Chant hébraïque de toute beauté. Ce sont de petites pièces, sans prétention, mais parfaitement achevées. “
” HENRI TOMASI par lui-même “
Emission d’Edouard Exerjean et Robert Ytier
France-Musique, 29 mars 1972